Jean-Baptiste
Jean-Baptiste MARCOS
Funérailles : 14 septembre 2007
Il est des défunts que l’on pare de toutes les qualités, en inventant au passage quelques unes qu’ils n’avaient jamais montrées de leur vivant.
Il est des disparus dont on honore des vertus que personne ne peut souligner par une anecdote personnelle.
Mais pour lui, Jean-Baptiste ou encore Papa, Papi, Papounet, Néné, Jeannot ou Jean suivant le lien qui nous unis, il suffit d’énumérer les qualités que tous lui reconnaissent, chacun ayant en mémoire ses propres exemples.
Amour de la famille, solidarité, dignité, honnêteté, fidélité, générosité, respect, tolérance, discrétion, humour, passion du travail bien fait, solidité face aux accidents de la vie, curiosité pour la diversité du monde et des cultures, …, la liste est longue et le temps trop court…
Ces qualités personnelles ont été fondées sur des valeurs solides et profondes qu’il a su nous transmettre comme le bien le plus précieux, nous offrant à tous un présent inestimable, cette référence qui nous guidera toute notre vie.
Si un doute ou une décision difficile survient dans notre existence, il nous suffit de nous poser la question : « qu’aurait-il dit ou qu’aurait-il fait dans ce cas-là ? » pour que le bon chemin à prendre apparaisse plus clairement.
Si un écart de cette voie nous tente, continuons à nous demander : « serait-il fier de mon choix ? » pour que nos pas retrouvent le sentier qu’il aurait aimé nous voir suivre.
Son amour de la famille, sans limite, lui a procuré ses plus grands bonheurs et sa plus grande tristesse aussi lorsque des liens se sont parfois distendus.
Pour être heureux, il lui suffisait d’être entouré des siens qu’il couvrait de son regard de patriarche mutin, trônant à une table toujours abondante, pétillant de gaieté, ponctuant les fins de repas familiaux de chansonnettes puisées dans une mémoire prodigieuse, y compris lors de son dernier dîner, dimanche soir.
Sa dignité, il l’a gagné à la force de son travail.
En Algérie d’abord, deuxième génération d’émigrés espagnols, ouvriers agricoles puis métayers exploités par un propriétaire terrien de la ferme de Khasi Merdoum, à Deligny, village proche de Sidi-Bel-Abbès.
Puis en France, de 1962 à sa retraite, magasinier aux établissements Mollard au Pecq, employé modèle, consciencieux et apprécié de tous, toujours poussé par la passion du travail bien fait et préférant éviter des promotions dont les responsabilités l’auraient obligé à sanctionner ses collègues.
Son honneur, il l’a prouvé pendant la grande aventure de sa vie, ses trois ans de service militaire, lors de la deuxième guerre mondiale, quittant son village pour le Maroc, rejoignant les troupes des régiments d’Afrique et combattant lors de la campagne d’Italie avant de débarquer en Provence et de poursuivre les troupes ennemies à travers la France, l’Allemagne et l’Autriche.
Dernièrement, il a tenu à écrire pour sa famille ces années militaires, riches de découvertes et de surprises mais lourdes de souffrances aussi, alors que ce sujet n’avait pas été évoqué par lui pendant soixante ans.
Sa grandeur, il l’a démontrée pendant les évènements d’Algérie, réussissant l’exploit de protéger sa famille, diriger la ferme, maintenir la confiance avec les ouvriers algériens dont certains étaient liés aux combattants pratiquant la terreur et en assurant le départ du pays qui avait vu naître ou mourir quatre générations de Marcos en un siècle.
Sa noblesse, il l’a exercée dès l’arrivée en France, face aux difficultés de recommencer sa vie à zéro, à trente neuf ans, avec trois enfants, sans aucun bien et dans un pays si froid. Froid du climat mais aussi de l’hostilité et du mépris ambiants à l’encontre des rapatriés d’Algérie.
Son honnêteté sans faille, c’est par l’exemple qu’il nous l’a enseigné, rigoureux quant au respect des règles et des lois, intransigeant sur ses devoirs de citoyen, irréprochable dans ses comportements, fier de n’avoir pas même reçu un PV pour mauvais stationnement pendant ses soixante cinq ans de conduite !
Sa fidélité, image de son honnêteté et de sa respectabilité, il l’a vécu sans accroc auprès de son épouse pendant les cinquante sept ans de vie commune.
Respect et fidélité à ses valeurs aussi, aux souvenirs de ses proches et de ses compagnons d’armes, à ses convictions. Fidélité des instants vécus, reproduits pour nous de façon intacte par son étonnante mémoire, énumérant par exemple il y a quelques jours la liste des noms de ses instituteurs, retrouvant mot par mot une récitation apprise soixante quinze ans en arrière ou une devinette en arabe.
Sa tolérance, malgré les déchirures vécues lors de la guerre qui l’a arraché à sa terre natale, a été nourrie par sa foi ainsi que par sa curiosité pour tous les peuples du monde, la diversité des cultures, des paysages et de la faune de la planète.
Tolérance et amour, l’ont aidé à cicatriser les vieilles plaies et à retrouver le plaisir gourmand de parler arabe et d’évoquer le passé algérien sans souffrance.
Sa discrétion, sa simplicité jusqu’à l’entêtement, est une qualité qu’il a porté jusqu’au défaut, évitant de déranger jusqu’aux équipes médicales qui avaient pour charge de le soigner. Heureux chez lui plus que n’importe où ailleurs, voulant rester digne et autonome jusque pendant ses derniers instants, il a réussi ce qui représentait pour lui une consécration : mourir dans son sommeil, dans son propre lit, chez lui, après avoir réuni autour de lui un grand nombre de membres de sa famille, les autres, éloignés géographiquement, étant toujours dans son cœur.
Son humour se traduisait d’abord par un pétillement des yeux, un sourire retenu pour finir par la petite phrase sibylline contenant autant de drôlerie que de philosophie. Jamais vexant, toujours délicat, il avait pour chacun le petit mot affectueux et drôle qu’il distillait avec plaisir.
D’une foi authentique, simple et profondément ancrée, il a mis en pratique chaque jour de sa vie les enseignements essentiels de la religion, sans besoin d’entrer dans une église.
S’il est un paradis, alors il compte aujourd’hui un ange de plus.
Et si le sport est pratiqué dans les cieux, alors les chérubins parisiens adeptes du ballon rond comptent un supporter de plus, réclamant dès son arrivée la meilleure place pour la prochaine rencontre qui les opposera aux angelots marseillais.
Regardez bien le ciel, une nouvelle étoile est apparue, pour la reconnaître c’est simple, c’est la seule qui a de magnifiques cheveux blancs en brosse.
Il est des défunts que l’on pare de toutes les qualités, il est des disparus dont on honore toutes les vertus, inutile d’en inventer pour lui, sa vie est un modèle, tâchons d’en être digne. Pour lui.